Un hommage à Jean Yernaux par Georgios Maillis, bouwmeester de Charleroi
"Mon histoire et cet attachement profond que j’ai pour Charleroi sont irrémédiablement liés à Jean Yernaux, cet architecte-urbaniste visionnaire qui a façonné cette ville telle que nous la connaissons aujourd’hui. C’est à lui que je dois mon retour ici, en 2007, et l’ouverture de mon bureau d’architecture. Ce choix, qui semble aujourd’hui une évidence, est né d’un moment imprévu, d’une correspondance de train manquée, et qui allait faire prendre à ma vie une direction que je n’avais pas imaginée.
Ce jour-là, au lieu de rester dans la gare, je décide de sortir et de flâner à la Ville Basse. Mes pas me mènent à traverser la Sambre, et c’est là, sur la place Buisset, que je me retrouve face à une de ses œuvres, une tour de béton imposante de style brutaliste, avec des affiches “À VENDRE” collées sur la façade d’un des derniers étages. Curieux, j’appelle le numéro indiqué pour cette visite qui allait définitivement me lier à cette ville. Dès que je franchis le seuil, quelque chose se passe en moi, un sentiment ambigu d’humilité et de démesure. Jean Yernaux faisait cet effet-là.
Du haut de cette tour, je découvre Charleroi dans toute sa complexité et sa beauté brute, chaque bâtiment, chaque ligne, témoignant de sa vision. Ce fut un coup de foudre pour ma ville et pour celui qui l’avait rêvée.
Jean Yernaux n’était pas simplement l’architecte de cette tour où j’allais installer mon premier bureau d’architecture ; il était l’âme et celui qui a donné un squelette, une structure, au paysage carolo. Il voyait Charleroi comme une cité qui ne se limite pas à ses frontières, mais qui rayonne à partir de son cœur qu’il voyait comme l’affirmation d’une ville dont le destin est la forme métropolitaine. Un centre densément habité et vivant, avec des bâtiments hauts et des fonctions urbaines fortes, entouré de son R9, ce petit ring qui, grâce à lui et aux couleurs de l’artiste Jean Glibert, est devenu plus qu’une autoroute, une œuvre d’art métropolitaine, un symbole d’ambition et de connexion au monde.
Jean était un homme discret et généreux. Tout son être portait les vibrations de ses rêves pour Charleroi qui l’a adopté dans les années 1950, lui enfant d’un village qui est venu travailler à la ville dans l’atelier d’architecture de Joseph André. Il imaginait cette ville au centre du réseau autoroutier européen, reliée aux grandes métropoles, rayonnant d’une énergie propre. Et aujourd’hui, alors qu’il n’est plus là, son rêve continue de battre au rythme de cette ville une ville qui ne se contente pas d’exister, mais qui aspire à s’imposer sur la carte. Des années 1960 aux années 1990, Jean a été l’architecte-urbaniste de la ville de Charleroi, le premier bouwmeester.
Pour cette vision que tu as laissée en héritage, pour cette ville qui continue de grandir à travers toi.
Jean Yernaux est né le 24 juillet en 1930 à Marbais et mort le 29 septembre 2024 à Charleroi, quelques mois après le décès de son épouse."
- Georgios MAILLIS
Bouwmeester de Charleroi
Pour aller plus loin :
- Le texte de Benoit Moritz Charleroi, Au-delà de l'architecture, un projet de territoire dans l'ouvrage Ce qu'habiter veut dire explore le contexte dans lequel évolue la ville de Charleroi.
- L'ouvrage édité par la Cellule d'architecture : Guide d'architecture Moderne et contemporaine Charleroi Métropole.